Dans le précédent Bulletin de Liaison de notre SLNF*, Jacques VAST (1987) rappelait la création par des botanistes ou phytosociologues ne se prenant pas au sérieux, bien que sérieux dans leur domaine, d’une association originale, le CANULARDETUM , qui serait caractérisé par des espèces végétales totalement absentes des flores sérieuses. En tant que phytosociologue d’une part, qu’amateur et quelque peu théoricien des jeux de mots d’autre part, je ne pouvais rester insensible à ce rappel et à la liste des espèces « caractéristiques » qui l’accompagne. En toute amitié, je voudrais faire les remarques suivantes.
Car, le CANULARDETUM est-il vraiment une association au sens phytosociologue du terme ? Tout phytosociologue répondrait rapidement par la négative… Tel qu’il est conçu, le CANULARDETUM est une catégorie abstraite de binômes latins, et non un ensemble de relevés de tels binômes. N’allons pas plus loin dans ce délicat débat… Mais retenons que le CANULARDETUM (gardons quand même ce terme impropre !) est une catégorie de binômes latins construits sur le modèle nomenclatural linnéen.
Comme toute catégorie qui se respecte et qui réunit un ensemble d’objets concrets, le CANULARDETUM doit être caractérisé par un invariant, autrement dit, quelque chose qui est commun à tous les objets qui y sont réunis. Il en est effectivement ainsi : tous les éléments de la liste de J. Vast sont engendrés par la traduction d’un binôme français noté F par simplification, en un binôme latin L :
Cette brève formule, qui résume cette genèse, est la représentation de l’invariant caractéristique du CANULARDETUM.
En revanche, la genèse du nom français F est très variée ; ce n’est pas un invariant global, mais elle peut permettre, si un ordre y est sous-jacent, de caractériser des variations du CANULARDETUM, comme les espèces végétales varient en sous-espèces, les associations végétales en sous-associations.
Le concept de variation du CANULARDETUM a bien été conçu par J. Vast sous le nom de CANULARDETUM (le suffixe -etosum permet de qualifier les sous-associations de la phytosociologie). L’auteur en distingue trois :
– le CANULARDETUM TYPICUM, caractérisé par des « espèces très représentatives ».
– le CANULARDETUM APPROXIMATIVUM, dont l’invariant serait que F corresponde à un calembour approximatif.
– le CANULARDETUM MINABILE, caractérisé par un F … du « troisième » degré.
Cette subdivision du CANULARDETUM me paraît trop peu fondée, la deuxième variation, par exemple, réunissant des F qui, à mon avis, ne sont pas fondés toujours sur des calembours approximatifs la dernière correspondant plus à un jugement de valeur sur la genèse de F, et englobant d’ailleurs parfois des éléments qui pourraient rentrer dans la seconde.
Il est possible de reconsidérer les variations du CANULARDETUM, en suivant la logique inhérente à la genèse des jeux de mots que, puisque j’ai mis en évidence dans une étude achevée mais non éditée, puisque chaque F est engendré par un jeu de mot.
L’examen de la liste de J. Vast m’a permis d’isoler les variations suivantes, d’ailleurs très inégalement représentées :
2. F est obtenu sur un calembour exact.
L’invariant est S —- calembour exact →F → L
par exemple : cent trente à l’heure
centhrante à l’heure = CENTRANTHUS HORARIUS
autres :
CAREX VITRINUS (lèche/laîche)
MENTHA RELIGIOSA (mante/menthe)
CUPRESSUS TIBI DOMINE (si près/cyprès)
VISCUM MALVA (guimauve/gui mauve)
LIMONIUM IXODES (statistique/statice tique)
BETA SAMARAE (bête de Somme/bette de Somme)
APIUM BELLI (hache/âche)
SETARIA HYBERNA (setter/ sétaire)
ACHILLEA DULCIS NIHIL FACERE (ah qu’il est/achillée)
3. F est obtenu sur un calembour approximatif.
S —- calembour approximatif →F → L
par exemple : scie circulaire
scille circulaire = SCILLA ROTUNDA
autres :
LEPIDIUM SUBTERRANEUM (passage/ passerage)
CANNABIS INDICUM PARMENTIERI (hachis/hachisch)
ULEX POLICIAE (agent/ajonc)
CRITHMUM PERFECTUM (crime/crithme)
BORAGO CRANIUM (bourrage/bourrache)
CRAMBE MARITIMA NUCLEARIA, minima (sous-marin/chou marin)
SALVIA POSSIBILIS (sauve/sauge)
SYMPHORICARPUS PASTORALE (symphonie/symphorine)
PARNASSIA SERVICII (pharmacie/parnassie)
4. F est obtenu sur un « mot valise » (Lewis CARROLE), ou jeu de mot par condensation. Les mots, l’un s’achevant l’autre commençant sur un même son.
S1 / S2 ––– condensation →F →L
par exemple : raifort / fort des halles
raifort des halles = COCHLEARIA RUNGISIENSIS
autres :
SATUREIA CENOMANIANA (sarriette/rillettes du mans)
CERASTIUM ERECTUM (ceraiste/reste debout)
STELLARIA TEMPORIS (stellaire/l’air du temps)
THLASPI ARVERNENSIS (tabouret/bourrée)
AQUILEGIA POSTALIS (ancolie/colis postal)
SEDUM SACCHARINUM (orpin/pain de sucre)
PHYTEUMA PILATEUS (raiponce/Ponce Pilate)
SENECIO LUXQUE (séneçon/son et lumière)
HYACINTHUS NOLI TANGERE (jacinthe/sainte n’y touche)
AMARANTHUS VIAGIARIA (amarante/rente viagère)
STACHYS QUADRATA (épiaire/πR2)
PRIMULA SOLITARIA (primevère/ver solitaire)
SALICORNIA BRUMALIS (salicorne/ corne de brume)
ACER LEPORINA (érable/râble de lièvre)
Cette courte étude « phytosociocomique » montre bien la finesse que l’on peut atteindre dans la classification des jeux de mots, si l’on dispose d’une méthode adéquate pour extraire un ordre dans une population qui en est, a priori, dépourvue. Elle montre aussi comment l’on peut faire des études sérieuses… sur des sujets qui le sont moins !
BIBLIOGRAPHIE :
FOUCAULT B. (de) – Les structures linguistiques de la genèse des jeux de mots (III pages – 1987)
VAST J. – Une nouvelle association végétale : le CANULARDETUM. Bulletin de Liaison Société linnéenne du Nord de la France – n°4 – 1987.
Bruno de FOUCAULT
Lille