La période de confinement que nous vivons actuellement correspond précisément à la phase de floraison des Pissenlits, Taraxacum de leur nom savant. Voilà l’occasion de découvrir un peuple souvent négligé, y compris des professionnels du végétal.
De nos jours, le Pissenlit n’a toujours pas gagné ses lettres de noblesse, peut-être à cause de son nom vernaculaire, ou peut-être parce qu’on le croise à tous les coins de rue. Il est « vulgaire » à plus d’un titre. Dans les sondages sur les fleurs, il obtient en général la dernière place, et les Orchidées la première. Opposition qui a été utilisée et développée dans un livre (« Orchidee oder Löwenzahn de Thomas Boyce, 2019), classant les enfants en deux catégories : les « enfants pissenlits » sont résistants, peu atteints par les événements extérieurs, et les « enfants orchidées » sont hypersensibles, délicats, et ont besoin de beaucoup d’attention. Le clou est enfoncé. Ceci relève bien sûr de l’image d’Epinal. En fait, certains Taraxacum sont rares et ne se rencontrent qu’en compagnie d’Orchidées elles-mêmes rares, et d’autres sont adaptés aux situations plus rudérales, tout comme certaines Orchidées.
Le Pissenlit était sans doute mieux considéré en milieu rural, comme le montrent les nombreux noms qu’on lui a donnés. Il s’agissait souvent de termes dérivés de « pissenlit », comme « pichoulit »,
« pissolit », mais aussi des noms régionaux plus spécifiques : par exemple, le « lanchron » en Picardie, le « létison » qui désignait « le pissenlit blanchi dans les taupinières et qu’on mangeait en carême à l’étuvée ou en salade » dans la région de Valenciennes (dictionnaire de rouchi-français d’Hécart, 1834). Autre exemple, la grande diversité des dénominations locales dans les Alpes, les noms les plus fréquents étant « dé de lion» ou « din de lion ». Localement, on parlait de la « dé d’shin » à Grésy sur Isère, de la « Coutta queniet » au Biot, de la « Coutta conier » à Essert-Romand, de la « Chicoré » à St-Alban d’Hurtières, du « greniè » en Chautagne, de « lo grapouin » à Aussois et Bramans, de « lo mambrese » à Bessans (Almanach du vieux savoyard, 1991). En pays liégeois, on distingue le capitule, le « florion d’or » (le florin d’or) de la rosette de feuilles, la chicorée. Quel luxe de « petits noms » !
Ces termes qui étaient encore utilisés au début du XXe siècle sont pour la plupart oubliés de nos jours, perdus. Ils sont devenus inutiles, les enfants ne parcourent plus, canif en main, les pâtures et les Pissenlits se vendent désormais sur les marchés. De nombreuses personnes pensent sans doute que ces Pissenlits commercialisés sous l’appellation « variété améliorée » sont de meilleure qualité. C’est faux bien sûr : comment pourrait-on améliorer ce qui est déjà parfait !?